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La chute d’un géant

Quel avenir pour Boeing?

février 2, 2022  By Pierre Deschamps


Photo: Boeing.

« La fiabilité s’intéresse à tout ce qu’il faut faire pour qu’un produit fonctionne sans défaillance, ou avec une fréquence de défaillance suffisamment faible pour être acceptable dans l’usage prévu. Sa conservation concerne la maintenabilité qui s’occupe de ce qu’il faut faire pour qu’un produit soit ramené dans des conditions aussi proches que possible de celles prévues au début de son fonctionnement », affirme clairement Pierre Chapouille, ingénieur de l’Institut Électrotechnique de Grenoble.

Dans une foule de secteurs d’activité, la fiabilité, une notion cardinale, permet « de garantir au client un usage prévu au coût total minimal pendant la période spécifiée, dans des conditions d’entretien et de réparation précises », ajoute-t-il.

Or depuis quelques années maintenant, on peut observer que ces principes liés à l’assurance qualité font apparemment défaut chez Boeing. Ce que nous signale un récent article de Guy Dutheil, dans Le Monde, dont le ton est sans équivoque.

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« Boeing sait-il encore construire des avions ? C’est la question, totalement iconoclaste, qui circule chez nombre de spécialistes de l’aéronautique. Il faut dire que, depuis près de dix ans, le constructeur de Seattle enchaîne les déboires et les errements. Tout a commencé en 2013, avec les batteries du tout nouveau, à l’époque, « Dreamliner », le 787, qui avaient la fâcheuse habitude de prendre feu en plein vol. »

Le journaliste poursuit en précisant que : « Depuis, l’avionneur américain connaît une série noire. En mars 2019, c’est autour du moyen-courrier 737 MAX d’être cloué au sol, cette fois pendant plus de vingt mois. »

Ces deux « incidents » pèsent d’ailleurs très lourdement sur les performances financières du constructeur. En effet, après une perte de 11,9 milliards de dollars américains en 2020, voilà que les résultats financiers de 2021 sont toujours dans le rouge « intense » avec une perte de 4,29 milliards de dollars américains.

Comment le fleuron de l’industrie américaine, longtemps premier constructeur aéronautique mondial, champion des exportations américaines toutes catégories, en est-il venu à un tel point de déconfiture, si bien que plusieurs observateurs de l’industrie aéronautique se demandent même si Boeing ne glisse pas lentement vers une quasi-faillite.

Pour comprendre comment cette descente aux enfers a pu s’amorcer, durer et perdurer, la lecture de « Flying Blind. The 737 MAX tragedy and the Fall of Boeing » (non traduit en français), de Peter Robison (327 pages), tout récemment publié chez Doubleday, s’avère fort éclairante.

Tout cette succession de déconvenues commence en fait avec l’écrasement du vol 610 de Lion Air en octobre 2018, suivi de celui d’un vol d’Ethiopian Airlines survenu le 10 mars 2019.

Avec foule de détails, d’explications, de témoignages, cet ouvrage décrit au scalpel comment un aveuglement tragique dans le système de vol du 737 MAX, dont la fiabilité ne pouvait être mis en doute, selon l’avionneur, a été le détonateur d’un désastre devenu depuis quasi hors de contrôle.

En d’autres mots, indique Peter Robison : « Conçu dans la précipitation pour éviter de perdre des parts de marché, le [737] MAX a fini par plonger Boeing dans le trou le plus profond de son histoire. Le champion américain des exportations a livré 157 avions en 2020 contre 566 pour Airbus. Même par l’une de ses propres ambitions de conception – éviter la formation sur simulateur – le MAX a été un échec. »

Apparu dans le ciel dans les années 1960, le 737 a longtemps été la vache à lait de Boeing. Mais le MAX 8 a bien peu de chose à voir avec son illustre ancêtre.

En fait, précise Peter Robison, le MAX 8 est « loin du 737 d’origine, qui avait deux minuscules moteurs en forme de cigare cachés sous les ailes, [alors que le MAX 8 a] deux énormes turbosoufflantes. Avec ses six pieds de diamètre, ces moteurs sont si gros qu’ils ont dû être montés devant les ailes plutôt qu’en dessous… si gros qu’une personne de taille moyenne peut même se tenir à l’intérieur des refroidisseurs ».

Tout commence donc le 29 octobre 2018 alors que ni le pilote ni le co-pilote du vol 610 de Lion Air ne savent « qu’un minuscule capteur sur le côté gauche de l’avion, tout juste en dessous de la fenêtre du pilote, présentait un désalignement de vingt-deux degrés dans ses entrailles délicates – un oubli des mécaniciens qui l’avaient inspecté ».

Ensuite, à peine le MAX 8 a-t-il quitté la piste que la colonne de contrôle commence à trembler, ce qui est « le signal d’un décrochage potentiel ». Puis, « mystérieusement, l’appareil s’est mis à piquer du nez ».

À ce moment, le pilote presse « un interrupteur sur la colonne de commande sous son pouce pour le repousser vers le haut. Le nez s’est levé, mais il a de nouveau plongé. « Pendant huit minutes, le bras de fer a continué ». Jusqu’au moment où l’appareil, avec 189 personnes à son bord, plonge dans les eaux de la baie de Jakarta, en Indonésie.

Ce qui fait dire à Peter Robison, qu’à ce moment-là « le monstre a gagné », entendre par là que le MCAS (Maneuvring Charasteristics Augmentation System), le logiciel de navigation du MAX 8, n’a pu être désactivé, rendant impossible la reprise en main de l’appareil par le pilote. Scénario qui se répétera quelques mois plus tard avec le vol d’Ethiopian Airlines à l’aéroport d’Addis Ababa, entrainant cette fois dans la mort 157 personnes.

Après cette mise en scène des deux écrasements du MAX 8 et un chapitre sur la naissance de Boeing et son essor après-guerre, l’auteur plonge le lecteur dans les causes du lent déclin de Boeing et, partant de la fiabilité jusqu’alors légendaire de ses appareils. En bref, pour Peter Robison, le début des problèmes du constructeur de Seattle a pour origine sa fusion avec McDonnell Douglas en 1997.

Dès ce moment-là, soutient-il, Boeing, qui avait une profonde culture d’ingénieurs orientée vers le contrôle absolu de la qualité, a été, en quelque sorte, prise d’assaut par les « mercenaires » de McDonnell Douglas, comme les surnomme François Roche, journaliste à l’hebdomadaire L’Express. Or aucun de ces « mercenaires » n’était ingénieur. Si bien qu’à la quête incessante de qualité de Boeing, ceux-ci lui ont substitué le culte du contrôle strict des coûts et de la croissance à tout crin. Même au prix de sa réputation, et de la chute dramatique de ses ventes.

Voilà un livre qui résume bien la dégringolade d’un géant. Une dégringolade dont chaque étape est abondamment documentée. Ce qui constituera un jour, on peut presque le prophétiser, un sujet d’études dans les écoles d’ingénieurs, les centres de formation de pilotes, les écoles de gestion, les classes de l’assurance qualité. Un sujet d’études qui pourraient avoir pour titre : Quand la recherche éperdue du profit prime sur la qualité, le crash est quasi inévitable.

https://www.techniques-ingenieur.fr/

https://www.lemonde.fr/

https://www.lexpress.fr/

http://knopfdoubleday.com/imprint/doubleday/

 

 


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